Montaigne en mouvement

Au départ, il y a cette question posée à Montaigne - cette question que Montaigne pose lui-même : une fois que l´individu, dans un accès d´humeur mélancolique, a récusé l´illusion du paraître, quelles exériences lui sont-elles réservées ? Que va découvrir celui qui a dénoncé autour de lui l´artifice et le déguisement ? Lui est-il permis de faire retour à soi, d´accéder à l´être, à la vérité, à l´identité intérieure, au nom desquels il jugeait insatisfaisant le monde dont il s´est écarté ? Montaigne met à l´épreuve cet espoir en composant les Essais. Mais « la prise et la serre » seont-elles possibles ? Si les mots et le langage sont, au dire de Montaigne, « une marchandise si vulgaire et si vile », quel paradoxe que de composer un livre et de s´essayer soi-même au fil des pages écrites ! L´on ne sort de l´apparence que pour s´engager dans une nouvelle apparence.
Montaigne voit le doute s´étendre jusqu´au point où nulle opinion n´offre une garantie supérieure à celle de la vie sensible. Par le détour de la réflexion sceptique, il réhabilite le paraître, rétablit la « relation à autruy », reconnaît les droits de la coutume et de la finitude. Ce mouvement réconcilie la pensée avec ce qu´elle avait d´abord rejeté ; la condition humaine, malgré toute sa faiblesse, peut être le lieu de la plénitude.